Une route en gravier s’enfonçant toujours plus profondément vers le nord. Une route qui vient fendre le paysage pour nous en offrir la prime beauté lorsqu’elle s’affranchit de tous les territoires, là où les frontières sont invisibles, et les hommes bien peu nombreux pour en témoigner. Toujours plus avant, à travers de vastes plaines au sol gelé, des monts qui ne cesseront jamais de nous surprendre et les constellations de lacs aux arides tempérances d’un dessein nourricier. Toujours plus avant, puisqu’il faut bien le répéter, toujours plus avant et même au-delà, comme le cercle polaire, comme l’aventure qui nous attend depuis kilomètre 0, les yeux braqués vers la Dempster.
Un peu d’Histoire.
Lorsqu’il s’est agi d’aller exploiter les richesses dans le delta du fleuve Mackenzie, là-bas, sur les bords de la mer de Beaufort aux confins des Territoires du Nord-Ouest, on s’est dit que quelques millions de dollars, cent pour être précis, valaient peut-être bien qu’on se donne un peu de peine. Pensez donc, 736 km à parcourir sur le pergélisol, ça n’était pas une mince affaire, mais si c’était pour avoir l’assurance de voir jaillir des entrailles de la Terre pétrole et gaz à profusion, on y déverserait des tonnes de graviers (1 à 2m pour l’isoler du pergélisol) pour éviter aux cahots tant d’inconfort qu’une belle cabine de truck n’oserait supporter la boue venue. Nous sommes alors en 1959, et les travaux de construction de la Dempster peuvent débuter.
Partant à 40 km au sud de Dawson depuis la Klondike Highway, dans le Territoire du Yukon, elle franchit les monts Richardson pour atteindre Fort McPherson et Inuvik, dans le delta du Mackenzie des Territoires du Nord-Ouest. Première des « routes d’accès aux ressources » du gouvernement de John Diefenbaker, ce n’est qu’en septembre 1963 qu’elle prend le nom de l’inspecteur William J.D. Dempster, à l’emploi de la Gendarmerie royale du Canada de 1897 à 1934 (à l’exception d’un an) dans différents postes au Yukon. Ouverte au public au printemps 1979, la route construite au coût de 100 millions de dollars comprend de grands viaducs sur les rivières Eagle et Ogilvie, et traverse certaines des régions les plus féeriques de l’Amérique du Nord.
Quelques infos qu’il faut savoir.
Pour en arriver jusque là, on n’oserait imaginer que vous ne soyez pas un minimum préparé. La nature même de la route et l’immensité des paysages traversés appellent à davantage de préparation cependant. Il faut plus de tout pour se lancer sur la Dempster, d’autant qu’il n’y a pas de réseau.
- La saison idéale?
On ne va pas vous mentir, c’est l’été, simplement parce que les mois les plus chauds sont aussi les plus agréables lorsqu’on est si haut vers le nord. Le reste du temps, les conditions peuvent vite devenir extrêmes, et elles le seront puisque dans cette partie des Territoires le climat est polaire. Il vous faudra dès lors avoir un équipement à toute épreuve, pour vous comme pour votre véhicule. Pis bon, l’hiver avec les températures négatives y fait frette en maudit (jusqu’à -50°), et profiter des paysages en plein blizzard, on a connu mieux. Une petite photo? Ah bah non, je n’ai plus de batterie…
Rappel pour l’été, période propice aux bestioles volantes et qui piquent, gardez avec vous une pharmacie à toute épreuve contenant de quoi vous protéger, ou vous guérir de tout ce qui en veut à votre peau.
- On the road, sur quatre roues, ou moins.
Bien qu’en relativement bon état, cette autoroute oblige les conducteurs à faire attention à tout moment aux changements soudains de la surface de la route, y compris les soulèvements dus au gel, les nids-de-poule, les tronçons marécageux ou glissants, le schiste broyé (dur pour les pneus) et les autres conducteurs. Ceux-ci doivent d’ailleurs s’arrêter (si l’espace le permet) pour les camions venant en sens inverse ou pour permettre aux camions de passer.
Dans ces conditions on a une préférence pour un véhicule plutôt confortable (pick-up, camping-car, WestFalia pour ceux qui savent voyager avec du style…) mécaniquement au top pour avaler ces kilomètres pas toujours faciles. Notez que la Dempster est à la portée de n’importe quelle voiture, on en croise d’ailleurs de tout type sur la route. C’est tout à fait jouable également en bécane, en mode enduro comme avec une bonne vieille GS de chez BMW, ou une Royal Enfield parce que le bon goût, ça se cultive (évidemment, on ne va pas citer toutes les marques de motos). Question vélo, si vous avez les jambes et le bon matériel, il vous faudra du temps. On ne parle pas ici de courage, vous êtes définitivement dans la catégorie des héros.
Dans tous les cas, vous devez rouler avec les phares allumés en tout temps. Quelques outils (en cas de pépins mécaniques), plusieurs roues de secours (au moins 2) et vous êtes presque parés. Gardez toutefois un œil sur la jauge de réservoir, les distances entre chaque pompe sont très longues.
- Les indispensables.
On pense tout de suite aux bonnes vieilles cartes routières à papa, parce que c’est toujours la classe un road trip à l’ancienne. Bon, là, il n’y a qu’une seule route… Bien entendu, votre passeport, et votre permis international (c’est plus prudent) en plus de votre permis régulier, viendront alourdir un peu votre portefeuille, mais vous y êtes habitués.
Quelques indispensables.
Des endroits qui valent le coup, d’autres parce qu’on n’a pas le choix.
C’est une sélection non exhaustive puisqu’une fois sur place vous vous arrêterez bien où vous aurez envie. Le long de la route, soyez attentifs à la faune sauvage: ours, renards, faucons, caribous et bien d’autres croiseront probablement votre chemin, sans que vous ne vous en rendiez compte. À vos appareils, tenez-les prêts à shooter. Dans tous les cas, nous vous invitons fortement à consulter les différents liens (voir infra) qui sont autant de mines d’inspiration pour que vous puissiez vous concocter un itinéraire aux petits oignons. Et puis, au pire, laissez-vous simplement porter par vos émotions.
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Parc territorial Tombstone.
Le kilomètre 71 marquera, à coup sûr, votre première étape sur la Dempster. D’une superficie de 2 200 km2, le parc protège une vaste étendue sauvage abritant des montagnes escarpées, des terrains façonnés par le pergélisol et une faune abondante, qui inspirent une riche culture autochtone. Il vaut les 7h de route à lui seul depuis Whitehorse. Il y a un Centre d’interprétation, de belles randonnées à faire, des installations pour camper et la nature autour de vous, grandiose.
Aller plus loin (sentiers, plans, camping, permis, etc…): Parc territorial Tombstone.
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Eagle Plains.
Arrêt nécessaire et obligatoire pour faire le plein d’essence plus chère, et peut-être se procurer ce qu’on a oublié en prenant la route. Un restaurant, un hôtel, des toilettes, pas forcément suffisant pour s’éterniser dans ce point de ravitaillement, sauf quand on n’a pas le choix.
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Cercle polaire.
Arrêt photo qu’on n’imaginerait pas louper près du panneau le plus célèbre de la Dempster. Ça fait cul-cul, et après? Au kilomètre 405 de la route 5, on prend le cliché pour en imprimer le souvenir à jamais. Et 60 kilomètres plus loin, on se fait la même à la frontière des territoires: Yukon/TNO, moins badass peut-être, et après?
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Parc territorial Nataiinlaii.
Comme le dit si bien Tourisme TNO, ce parc est perché sur une falaise surplombant la rivière Peel et entouré de peuplements de bouleaux gris et d’épinettes blanches. C’est un endroit idéal pour se détendre pendant quelques nuits lors du long voyage en haut ou en bas de la Dempster. Le centre d’accueil offre un aperçu fascinant de la vie du peuple Gwich’in Dene, passé et présent. 10 km plus loin, vous pourrez vous arrêter à Fort McPherson. Les villages sont rares sur cette route, alors profitez-en.
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Inuvik.
Retour à la civilisation? Inuvik est de loin la plus grande ville de la région puisque c’est la seule a en avoir le statut. 3.500 habitants, suffisant pour faire de belles rencontres et reprendre goût à la socialisation. On s’égare, ça ne fait que quelques jours qu’on roule. Vous trouverez ici tous les services dont vous pourriez avoir besoin, dont la célèbre église igloo (Notre-Dame-de-la-Victoire) pour aller à confesse, sait-on jamais. Après tout ça, n’oubliez pas de reprendre la route pour aller patauger dans un nouvel océan.
Les liens à consulter impérativement.
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L’état des routes dans tous les Territoires du Nord-Ouest.
Il suffit de cliquer sur les tronçons qui vous intéressent sur la carte du réseau routier. Beaucoup d’informations sont ici listées. Lien: Highway Conditions.
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Les ferries.
Il y a deux traversiers à prendre en remontant l’autoroute N°8, toutes les informations sont ici: Ferries.
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Les campings et airs de bivouacs de la route Dempster (mais pas que..).
Route Dempster: une mine d’or, ni plus ni moins, alors que ça n’est pas saturé d’informations. Cette liste met en avant également différents points d’intérêt de la Dempster avec, pour les campings essentiellement, les équipements qui s’y trouvent. C’est ultra complet, très aéré, et ce doit être directement placé dans votre liste de lecture histoire de toujours l’avoir à portée.
Pour finir, kilomètre par kilomètre, tout ce qu’il y a à voir: le guide complet.
Vers l’Océan Arctique?
Les 138 kilomètres de route reliant Inuvik à Tuktoyaktuk dans la toundra ont été achevés en 2017. Les 300 millions investis ne l’ont pas nécessairement été pour relier au monde les quelques centaines d’habitants que compte Tuk, mais bien, là encore, en vue de l’exploitation des ressources enterrées très profondément dans le sol de la région. Pour le voyageur c’est une aubaine, la route le mène tout là-bas, les pieds dans l’océan arctique, plus haut qu’il ne pourra probablement jamais plus aller. Un aboutissement, ces 138 km ne font pas partie de la Dempster (mais le deviennent dans le langage courant), mais en forment le prolongement: la route de l’Arctique.
Au bout, dans ce hameau qui ne dépasse pas 1.000 âmes, se trouve le site canadien historique des pingos, dont l’Ibyuk Pingo qu’il faut voir, un prétexte s’il en fallait pour faire une belle balade en kayak; se rendre à « la pointe » et se prendre en photo sous le panneau mythique et simplement pouvoir se dire… j’y étais…
Un peu de lecture supplémentaire?
Quelques aventuriers vous racontent leur expérience de la Dempster Highway. C’est à consommer sans modération, leur retour est absolument formidable et leurs photos incroyablement belles. On vous les laisse découvrir.
- Le monde de Tikal: ultra complet, une belle aventure, ni plus ni moins. Passionnant.
- Le blog de Jenni et Guigui: La Dempster en hiver, des photos dingues.
Bonus.
Une galerie de clichés à découvrir sur cette incroyable route, ça se passe juste ici: Le long de la Dempster Highway, jetez-y un œil, c’est magnifique.
Sources: Encyclopédie Canadienne; Spectacular NWT.
Crédits photo: (1) Alaska Shore Tours; (2) Spectacular NWT; (3) Darren Hull; (4) Wikimedia Foundation; (5) milehightraveler; (6) Murphy Shewchuk.
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Falbala
23 septembre 2020 at 14:14
Super article! Ca donne envie d’aller jusqu’en arctique 🙂
Houston MacDougal
23 septembre 2020 at 17:08
😉