On a peine à croire que le concept de l’opération Mr BIG n’est pas le fruit d’un scénariste hollywoodien en mal de films noirs et autres polars, puisque cette fois la réalité dépasse largement la fiction. Cette opération policière, que l’on connaît également sous le nom de technique canadienne, est une grande toile tissée autour d’un suspect dont on n’a pas suffisamment d’éléments pour inculper. Il faut alors lui tendre un piège, simplement pour qu’il se mette à table, et à parler.
Manipulation à tous les étages.
Dans le cadre d’affaires et de crimes non résolus (souvent des enquêtes pour meurtre ou disparition), il arrive que les forces de l’ordre aient de forts soupçons sur un individu, auteur présumé des faits, mais aucune preuve. Ce dernier est alors mis sous étroite surveillance afin de connaître ses habitudes, sa routine avant qu’un agent double, ou infiltré (choisissez votre terminologie préférée), n’entre en contact avec lui. En effet, cette méthode Mr. Big consiste en une opération à grand déploiement durant laquelle des policiers se font passer pour des membres d’une organisation criminelle et recrutent le suspect afin qu’il travaille pour cette même organisation.
Au cours de quelques dizaines de scénarios orchestrés par les forces policières, le suspect sera amené à commettre plusieurs délits ainsi qu’à établir un lien de confiance, voire même d’amitié, avec les agents sous couverture. On lui propose des petits boulots peu risqués au début et puis progressivement on le fait monter en grade, avec des coups en apparence de plus en plus importants.Dans toutes les opérations Mr. Big, les policiers se font passer pour des criminels. Ils tendent leurs filets autour du suspect et l’amènent à faire partie de l’organisation. Trafic de cartes de crédit, blanchiment d’argent, trafic d’armes. Ils lui versent un salaire et lui font vivre la grande vie. Les bons restaurants, les bars de danseuses. Tout est là pour rendre l’organisation crédible. Les opérations Mr. Big coûtent entre 100 $ et 400 000 $.
L’étape ultime de l’opération est d’amener le suspect à rencontrer le grand « patron » de l’organisation criminelle, le boss: Mr Big. En réalité, il s’agit d’un inspecteur expert en techniques d’interrogatoire. Durant cette rencontre, le suspect se voit demander d’admettre le crime pour lequel on le soupçonne afin de prouver sa loyauté et ainsi de devenir officiellement membre de l’organisation si ce n’est pas déjà fait, ou simplement pour le couvrir. Il arrive qu’on lui fasse croire qu’ils ont un informateur dans les rangs de la police, et qu’il serait suspect pour un vieux crime: le seul moyen pour l’aider étant alors qu’il se confesse de tous ses crimes et qu’une équipe de Mr Big se charge de nettoyer le moindre reliquat de preuve matérielle. La rencontre est filmée, les aveux avec.
En résumé
♦ Technique d’enquête développée à la fin des années 1980, début 1990, dans l’Ouest canadien par la Gendarmerie royale du Canada.
♦ Cette méthode — qui s’applique lors de crimes majeurs non résolus tels des meurtres ou des agressions sexuelles graves — est utilisée au Québec depuis un peu plus de 10 ans.
♦ Dans une telle opération, un sujet intègre une organisation criminelle fictive — composée d’agents doubles — qui prône des valeurs d’honnêteté, de confiance et de loyauté.
♦ Lors d’un scénario final, l’individu visé rencontre le patron qui le questionnera sur son implication dans un crime donné.
♦ L’entrevue finale peut permettre d’incriminer ou de disculper le sujet. Elle peut aussi permettre de réorienter l’enquête ou de la pousser plus loin.
Les différents rôles
♦ Agent couvreur : Élabore les scénarios, gère les agents doubles, s’occupe de la logistique et du matériel.
♦ Agent «primaire» : Passe le plus de temps avec le suspect.
♦ Agents secondaires et figurants : Rôles de soutien dans l’organisation, pour la rendre crédible.
♦ Grand patron : Dirige l’organisation fictive. C’est lui qui mène l’entrevue finale avec le sujet dans le but de connaître son implication réelle dans un crime donné.
Controverses et critiques.
D’un point de vue éthique on peut se dire que c’est limite, on ne sait plus vraiment s’il s’agit là de méthodes mafieuses ou ingénieuses. On nous rétorquera que nombre d’affaires en souffrance ont été résolues, et que tout est contrôlé, que rien n’est laissé au hasard. Il n’empêche, il y a réellement problème concernant la véracité des aveux, notamment au regard du contexte. Après tout, dans tout cet organigramme criminel où le suspect voudrait se faire bien voir, obtenir la confiance de ceux qui comptes, quelle part de vérité y a-t-il dans la fanfaronnade, le fait de se valoriser, dans l’invention d’un cursus délinquant et d’un parcours de gangster pour convaincre? La réponse à cela peut être la condamnation d’innocents sur la seule recevabilité d’un aveu obtenu par la contrainte et la vulnérabilité. On force des personnes à commettre un crime pour en avouer un autre. On laissera toujours la question en suspens, même si nous connaissons la réponse: qu’y a-t-il de mieux, emprisonner un innocent ou laisser un coupable en liberté? Conrad Lord, criminaliste, nous éclaire d’une analyse simple, mais non moins pertinente: « quand on n’a pas d’éléments matériels, quand on n’a pas de preuve, on essaie de récupérer la dernière chose qu’on peut récupérer, celle que le suspect détient, ce sont les éléments circonstanciels et ce sont les aveux. »
Or, ajoute-t-il, « L’aveu c’est l’ultime recours et c’est la chose la plus compliquée à faire entrer en preuve, parce que c’est toute sa fiabilité qui est mise à l’épreuve. »
À cela Kyle Unger vous répondrait bien volontiers d’étudier son propre cas. Au Manitoba il a passé 14 années derrière les barreaux après qu’un nouveau test ADN a révélé qu’un cheveu retrouvé sur la scène du crime, qui avait servi comme preuve pour le condamner, n’était pas le sien. Plus tard, il a déclaré qu’il avait menti parce qu’il était jeune et naïf et qu’il voulait être dans un gang.
On le sait, l’étape ultime sera celle décrite par Phikip K.Dick*, et son Minority Report*.
Crédits photo: (1) Northumbria; (2) Roy Morissette.
Source: lapresse.ca
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Donadoni
10 juin 2018 at 03:13
C’est fourbe, mais c’est bien joué. On n’attrape pas les vilains avec des « pardon, auriez-vous l’obligeance d’être gentil » etc…
Hakim
16 février 2019 at 14:15
Complètement ouf ce stratagème !
Baikalskaya
27 juillet 2019 at 22:41
C’est fourbe mais on n’attrape ales mouches avec du vinaigre
Fleur
5 novembre 2019 at 17:19
Je vais me faire l’avocat du diable, mais c’est préjuger de la culpabilité des gens ça. Et s’ils étaient innocents jusqu’à la mise en œuvre de cette manipulation, ne fabriquerait-on pas des criminels de toutes pièces? J’ose espérer que non…